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GARDEL et sa mère à bord du "Dom Pedro" (1893)




e transatlantique français, long de 104 mètres et large de 12 mètres, était propulsé par une machine à vapeur de 1400 chevaux. Il disposait également d'une voilure que l'on pouvait déployer si nécessaire.  

Construit aux chantiers navals de Graville, près du Havre, il fut lancé le 12 octobre 1878. Il était entièrement en fer et son unique cheminée arborait sur son pourtour une bande blanche avec 5 étoiles de couleur rouge symbolisant les 5 continents, emblème de la Compagnie des Chargeurs Réunis, dont le siège était au Havre. Cette compagnie fut fondée en 1870 et exerça ses activités jusqu'en 1980. 




Le " Dom Pedro" sombra « le 27 mai 1895 à 6 h15 du soir après avoir heurté une roche isolée par le coté tribord avant approximativement au sud ouest du cap Corrubedo" sur les côtes de Galice, selon le rapport du naufrage.

Naufrage du "Dom Pedro" : liste des victimes                     



La fin tragique de ce navire montre qu'à la fin du 19ème siècle la traversée de l'Atlantique n'était pas chose simple : c'était un long voyage, les conditions de vie à bord n'étaient pas faciles et les accidents de mer très fréquents.

Les Archives de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Marseille ne possèdent pas de listes de passagers, par contre elles détiennent la liste des avaries subies par le "Dom Pedro" :


Juillet 1879,  perd une aile d'hélice en plein Atlantique; puis une deuxième pale avant d'entrer au port de Rio de Janeiro où l'hélice est remplacée. 

Le 27 juin 1880,  Entrant en Manche par gros temps, rupture de l'arbre de propulsion. Continue à la voile jusqu'au Havre atteint après deux jours de navigation.

Le 12 août 1880, abordage de nuit dans la rade de Rio de Janeiro du trois mâts portugais « Christina » qui coule. L'équipage se sauve dans deux canots.

Le 25 octobre 1882, à un jour de Bordeaux et allant au Havre, recueille l'équipage du vapeur espagnol "Manuela" qui a coulé.

Le 19 avril 1883, casse son arbre et perd son hélice dans l'Atlantique Sud. Fait route à la voile jusqu'à Pernambuco, où il arrive le 21 ; remorqué jusqu’à Bahia où il arrive le 27 avril. Le Commandant Fleury décède à l'arrivée au port. Le Second Capitaine Poilbout  prend le commandement jusqu'au retour au Havre...

Le 14 mars 1895,  abordage avec l'italien "Massapia" à Buenos Aires. Ce fut son dernier incident avant son naufrage.  Deux mois plus tard, le 27 mai 1895 durant le trajet de Pasajes (près de San Sebastian au Pays Basque) à Carril (Galice), il heurta "un obstacle non signalé". La machine fut inondée, les chaudières explosèrent et le "Dom Pedro" sombra en 10 minutes provoquant la mort de 87 personnes. Seuls 18 passagers et 21 membres d'équipage furent sauvés par des embarcations de pêcheurs qui assistèrent au naufrage.

Ainsi disparut le "Dom Pedro" au cours de sa 60ème traversée. Mais sa silhouette ne s'effaça pas complètement du paysage maritime, car les chantiers navals du Havre avaient lancé auparavant le "Pampa", un bateau jumeau, qui continua vaillamment les traversées transatlantiques jusqu'en 1905, année de sa démolition.


Curieusement, les arrivées au Brésil du "Dom Pedro" mentionnées précédemment ne figurent pas dans les archives maritimes brésiliennes qui conservent la trace des escales suivantes :
Le 8 mai 1881, en provenance du Havre, avec escale à Tenerife (Commandant du navire : Capitaine Fleury); le 3 novembre 1884, provenant du Rio de la Plata : (Commandant du navire : Capitaine J.B. Bovine), le 6 juillet 1885, provenant de Madère (Navire commandé par le Capitaine A. Segond), et le 1er Août 1886, provenant de Buenos Aires avec escale à Montevideo (toujours sous le commandement du Capitaine A. Segond). Ces données permettent de supposer des changements dans les itinéraires ou dans l'équipage, comme conséquence possible des incidents décrits précédemment (par exemple le décès du Commandant Fleury mentionné dans le texte).



   
Le petit Charles Gardes fit sur ce navire son premier et le plus important de tous ses voyages. Il embarqua à Pauillac, port situé sur l'estuaire de la Gironde, à 50 kilomètres au nord de Bordeaux, avec sa mère Marie-Berthe Gardes, alors âgée de 27 ans. 

Selon des traditions orales, Paul Lasserre à qui Berthe Gardes attribua la paternité de son fils, les aurait accompagnés en Amérique du Sud. Mais cette   allégation est formellement démentie : il avait été arrêté à Paris le 12 janvier 1892, jugé, puis condamné à 3 ans de prison. Il obtint la liberté conditionnelle le 12 avril 1894 [1].

Jugement de la Cour d'Assises de la Seine en date du 9 septembre 1892 et condamnant Lasserre à 3 ans de prison. (Archives de Paris).







Le "Dom Pedro" accosta le 13 février 1893 à Pauillac, venant du Havre, et le lendemain 14 février il leva l'ancre avec comme destination : "Buenos Aires avec escales". Se déplaçant à une vitesse moyenne de 8 nœuds, le "Dom Pedro" atteignit Santa Cruz de Tenerife aux îles Canaries le 20 février, après 6 jours de navigation. 
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Vues anciennes du port de Pauillac


Oui, c'était en 1893,-se rappellera Berthe Gardes bien des années plus tard.- Aux îles Canaries, beaucoup d"émigrants espagnols en route pour l'Argentine montèrent à bord. " L'Argentine!" Ah, que d'illusions de terre promise pour nous tous! je me souviens que le bateau s'appelait "Dom Pedro", un nom portugais. Un membre d'équipage de cette nationalité me dit que ce "Dom Pedro" avait été empereur du Brésil jusqu'à deux ans auparavant. Mais le Brésil l'avait renversé et il n'y avait plus ni roi, ni empereur, en Amérique". Le Nouveau Monde était celui de la liberté, répétait ce membre d'équipage, et en vertu du mot "liberté" l'âme de Berthe Gardes se remplissait d'espérance.   

Il est possible -comme l'avait mentionné ce compagnon de voyage occasionnel- que le nom du bateau ait été donné en hommage à Pierre II du Brésil (1825-1891) renversé par un coup d'état en novembre 1889, bien qu'il bénéficiait de nombreuses marques de soutien et d'estime populaires. Cependant, en omettant le numéro "2" , les documents sembleraient faire plutôt allusion à son père Pierre 1er du Brésil et IV du Portugal (1798-1834), qui proclama l'indépendance du pays vis a vis du Portugal.


Nous arrivâmes à Buenos Aires après un mois de navigation agitée. Le bateau jeta l'ancre à l'extérieur. Les navires ne pouvaient pas encore entrer dans le port. Les passagers furent transbordés sur de grandes embarcations et sur une mer hachée pour atteindre la jetée faite de planches. J'ai eu des moments de peur! Nous marchâmes enfin sur le quai...

Et moi, mon enfant serré contre la poitrine avec ce bras, et un paquet de linge au bout de l'autre bras.... Il m'a semblé avoir un mauvais présage en arrivant dans le pays désiré, car quelques pas plus loin, mon pied se coinça dans un trou de l'armature en bois de la jetée. Je trébuchais vers le bord et faillis tomber à l'eau. Par chance, des compagnons de traversée qui étaient à côté de moi m'attrapèrent... l'enfant, effrayé, pleurait. Il pleurait sans cesse. Je n'arrivais pas à le calmer. Mauvais présage, n'est ce pas? Mais heureusement cela ne s'est pas accompli.


La jetée de Buenos Aires où débarqua  la jeune Berthe Gardes et son fils, le petit Charles.






















Cet événement décrit par Berthe Gardes eut lieu le 12 mars 1893 lorsqu'elle prit pied pour la première fois sur le territoire argentin. Cependant on considère comme date d'arrivée du "Dom Pedro" le jour précédent, lorsqu'il entra dans les eaux argentines, transportant "diverses marchandises et des passagers". Parmi ceux-ci figurait un passager de 3ème classe qui plus tard serait applaudi dans le monde entier et reconnu par l' UNESCO. 

Les détails du premier voyage de Gardel sont consignés dans la pénultième page du livre de bord du navire conservé aux archives maritimes du port d'attache[2]. (archives départementales de Seine-Maritime).


  
Malgré le peu d'informations sur ce navire, on peut dire avec certitude que durant ce voyage, l'équipage oscilla entre 48 et 49 personnes, et que le commandant du navire, le Capitaine Vincent Marie Créquer, qui amena à Buenos Aires le futur Carlos Gardel et sa mère, percevait 500 francs par mois. Fils de Julien Créquer et de Marie Martin, il était né le 23 juin 1849, à 11 heures du soir dans la commune française d' Arradon (Morbihan) et avait 43 ans lorsqu'il fit cette traversée.

Le second capitaine, François Joseph Louis Le Piniec, touchait la solde de 300 francs par mois. Le premier lieutenant était Raymond Auguste Rouelle et le second lieutenant : Auguste Elysée Pillivuyt.  












































































Le 9 mars 1893, le "Dom Pedro" effectua une escale technique à Montevideo  - sans débarquer de personnes, ni faire de visite sanitaire -  et le lendemain il leva l'ancre pour se rendre à  Buenos Aires.


Les archives (incomplètes) d'Argentine ne conservent pas la trace de l'arrivée du "Dom Pedro" à Buenos Aires, le 11 mars 1893. Seules figurent les dates d'arrivée du 13 octobre 1890, 2 juillet 1891, 1er février 1892, 1er juin 1892, 9 septembre 1892, 13 décembre 1892 et 2 mars 1895. La documentation de mars 1893 contenant les listes de passagers débarqués fut consultée par Luis Ángel Formento, qui, dans les années 80, démentit publiquement qu' Odalie Ducasse, épouse Capot aurait voyagé avec Berthe Gardes, alors que son fils Esteban Capot croyait s'en souvenir, citant ces mêmes archives comme source de consultation.

Pour sa part, la "Dirección Nacional de Migraciones" (les services de migrations argentins) enregistra les nouveaux arrivants en ces termes :

« Numéro 121 : Bertha Gardes, française, veuve, 27 ans, repasseuse, catholique, passeport N ° 94. Numéro 122 : Charles Gardes, français,  deux ans… ». 

Cette information fut reproduite par Formento en 1970, puis par Miguel Ángel Morena en 1976 et aussi par d'autres auteurs de l'époque. Peu de temps après, dans un geste facétieux qui caractérise les argentins, un collectionneur détacha la feuille en question du registre des arrivées, et en remplacement les services d'émigration émirent  le certificat qui est reproduit ci-après : 



  Traduction :
  Sur la liste des passagers du ....... Vapeur Dom Pedro...............
  Arrivés au pays le .........................11 mars 1893...........................
  Figure sous le numéro d'ordre...... 122.........................................
  Le nom du passager......................Gardes Charles.......................
  De sexe .........M...........de .....2.....ans d'âge .................................
  Etat Civil......C..( Célibataire).....de nationalité ......Française.....
  Classifié comme.... Sans............ en .........Classe..........................
  embarqué à....Bordeaux.................................................................

Juan Carlos Esteban, qui, dans ses inlassables recherches apporta de précieuses contributions, révéla l'information suivante provenant du journal "La Nación" dans son édition du 11 mars 1893 et sous la rubrique "Mouvements Maritimes" :  "Aujourd'hui sont attendus dans notre port : Dom Pedro venant du Havre, Eolo [3] et Montevideo, venant de Montevideo".  Le jour suivant, dans la même rubrique, sous titrée "Entrées d'outre mer", le même journal mentionne l'arrivée du "vapeur français Dom Pedro, en provenance du Havre avec escales, avec 145 passagers et 1000 tonnes de charge(...) venant de Montevideo", et à une autre page : "En rade avant d'entrer aux docks", on mentionne en dernière position  le "français Dom Pedro. Total 7 vapeurs".

Extraits du journal "La Nación' des 11 et 12 mars 1893                       


Malgré la perte des documents originaux, et les questionnements subis par le document de remplacement émis en 1977, il n'y a pas de raison de mettre en doute que ce fut ce navire qui conduisit Berthe Gardes et son petit garçon à Buenos Aires, dans un voyage qui s’avérera déterminant pour l'histoire du tango et la culture argentine.





Georges GALOPA - Ana TURON      
Andolsheim (France) - Azul (Argentine)
Le 13 Avril 2018           






SOURCES CONSULTÉES :

LIVRES:
ESTEBAN, Juan Carlos. CARLOS GARDEL. Encuadre Histórico, 2da edición. Corregidor, 2003
RUFFIÉ, Monique, ESTEBAN, Juan Carlos, GALOPA, Georges. CARLOS GARDEL. SUS ANTECEDENTES FRANCESES. Editorial Corregidor, Bs. As., édité en espagnol (2006) et en français  (2007)
VISCONTI, Eduardo – PELUSO, Hamlet. CARLOS GARDEL Y LA PRENSA DESPUÉS DE SU MUERTE (Ed. Corregidor, 2015)

ARCHIVES:
Archives départementales de Seine-Maritime
Chambre de Commerce et d’Industrie Marseille, Provence. (France).
Departamento de Migraciones de Argentina (Argentine).
Departamento de Migraciones de Brasil (Brésil).
Museo del Libro “Gardel y su Tiempo” (Argentine).

SITES WEB:
www.histarmar.com.ar
https://barpequeno.wordpress.com/
http://wikipedia
www.arcondebuenosaires.com.ar
http://www.communes.com/aquitaine/gironde/pauillac_33250/


[1] Deux livres sont consacrés à Paul Lasserre: GALOPA-RUFFIÉ-ESTEBAN: “El Padre de Gardel”. Ed. Proa, 2012 et GALOPA-ESTEBAN: “El Desamparo del Joven Gardes”. POSA, 2013.
[2] Archives départementales de Seine-Maritime
[3] À Majorca (Iles Canaries)