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La photo de Gardel datée à Nice à été prise à Buenos Aires

 Lire cet article en espagnol



a photo réunissant Gardel et Leguisamo avec l’inscription “Niza, 25-2-1931” sous leurs signatures respectives est très connue. Elle fut publiée par la revue argentine "Tanguera" dans son édition spéciale "30 láminas multicolor" (en français : "30 pages multicolores"). A la dernière page, Luis Ángel Formento, qui a réalisé la sélection des images et des textes, précise que la photo originale était en possession des époux Defino, étroitement liés à ce journaliste.
Bien que la date indiquée sur la photo correspond à la présence effective de Gardel et Leguisamo sur la Côte d’Azur, et que la calligraphie ne présente aucun doute quant l’autenthicité de cette photo, l’absence d’une dédicace propre à tout autographe soulève notre attention.

D’autre part, le bâtiment que l’on voit en arrière plan est assez familier, avec ses portes rapprochées qui sont caractéristiques des boxes pour les chevaux, et dont les volets peuvent s’ouvrir pour permettre au cheval de passer la tête.

Ce détail engeandra une série de questions auxquelles cet article tente de répondre.


Photo de Gardel et Leguisamo avec la mention ‘Niza 25-2-1931’

























Réfutant la mention inscrite sur la photo, Roberto Cassinelli dans les années 50, puis Rodolfo Zatti en 1990 affirmèrent qu’elle n’avait pas été prise à Nice, mais à Buenos Aires dans les écuries de Francisco Maschio, sans fournir cependant la moindre explication.

En orientant nos recherches sur les écuries du ‘Viejo Francisco’[1] situées 1664, rue Olleros, entre l’avenue Vertiz (aujourd’hui Avenue Libertador) et l’avenue Migueletes, écuries qui étaient parmi les plus importantes du quartier de Palermo, nous avons trouvé une série de photos où Gardel et Leguisamo portent les mêmes vêtements, notez plus particulièrement leurs cravates et le même décor à l’arrière de la photo.


 Debout : Francisco Canaro et José Razzano – Assis : Carlos Gardel, Francisco Maschio, Leguisamo et le palefrenier Naciano Moreno.







La présence de Francisco Canaro et la tenue élégante d’Irineo Leguisamo montrent clairement qu’il ne s’agissait pas d’une réunion hippique, ni d’une simple rencontre formelle, mais d’un évènement plus important.

Une quatrième photo confirme qu’un repas fut servi lors de cette rencontre.







Francisco Maschio avec le cerf


Entourées des plantes exotiques que cultivait Maschio et à proximité de la sclupture d’un cerf, haute de trois mètres, quatre grandes tables étaient toujours disposées pour recevoir les amis qui se réunissaient chaque semaine au ‘stud Yerua’[2]  de Francisco Maschio. A l’une d’elles, on aperçoit Gardel dont la cravate indique qu’il s’agissait du même évènement.


Après le repas, pendant que les hôtes savouraient un cigare, Gardel, à qui on rendait hommage ce soir là, Maschio, l’amphitrion, et Razzano, qui était leur ami commun, parcoururent les tables où l’on pouvait observer des coupes débordantes de pommes.


Pour finir, une photo de groupe témoigne de ce repas. La recherche minutieuse et précise de Rodolfo Zatti révèle les identités de chacun des invités.


Assis au premier rang, de gauche à droite : 1) “Chico” López, fils d’un péon de l’écurie Maschio; 2) Carlos Gardel ; 3) Luis Riccardi, pianiste de l’orchestre de Canaro ; 4) José Razzano, à cette époque administrateur de Gardel. 

Assis au deuxième rang, de gauche à droite : 5) Ramón Pelletier, jockey; 6) Naciano Moreno, palefrenier; 7) Francisco Maschio, entraîneur ; 8) Eulogio Collado, palefrenier; 9) Luis Laborde, palefrenier; 10) Irineo Leguisamo, jockey; 11) Víctor Galieri, poète de Rosario ; 12) Francisco Canaro, Chef d’orchestre de tango ; 13) inconnu; 14) Guillermo Barbieri, guitariste de Gardel. 

Debout au premier rang, de gauche à droite : 15) Gregorio Bidegai, responsable de l’écurie Francisco Maschio; 16) Juan Maschio, neuveu de Francisco (puis palefrenier); 17) Carlos Ferragut, jockey; 18) Alfonso Davino H., par la suite palefrenier ; 19) Luis Echeciani; 20) Wenceslao S. Borgonovo, palefrenier ; 21) Urbano Ruiz, palefrenier; 22) Ángel Penna, palefrenier; 23) Inconnu; 24) Gabriel Torterolo, entraîneur; 25) Miguel Buccino, danseur professionel; 26) Lautaro Vericiarto, propietaire de l’écurie “14 septembre”; 27) Inconnu ; 28) Pedro Cichetti, palefrenier; 29) Roberto Baliña, médecin particulier de Carlos Gardel; 30) Inconnu.

Debout au deuxième rang, de gauche à droite : 31) Inconnu; 32) Inconnu; 33) Oscar Vignart, de la Comission du Jockey Club de la Province de Buenos Aires; 34) Luis Calistro, palefrenier; 35)Ángel Domingo Riverol, guitariste de Gardel.


A propos de cette journée, Francisco Maschio fit en 1935 des déclarations à la revue ‘Caras y Caretas’ : dont voici la traduction : « Il (Francisco Maschio) nous laisse un instant, et il revient avec une photographie prise dans la cour du ‘stud’ la nuit précédant l’avant dernier départ de Gardel pour l’étranger, occasion lors de laquelle ‘l’entraineur’ bien connu lui offrit un repas. Cette nuit, - ajoute-t-il – il y avait Naciano Moreno, Francisco Canaro, Leguisamo et beaucoup d’autres… Nous formions un petit groupe d’amis intimes. Est ce que l’un d’eux pouvait dire que Gardel emmenait en son âme, en cette nuit de départ, la si profonde tristesse ‘criolla’[3] ?

Fragment des déclarations de Francisco Maschio à ‘Caras y Caretas’ (1935)
La date de cet évènement, qui demeurait une énigme, était mentionnée par Francisco Maschio dans son interview au magazine ‘Caras y Caretas’, mais il faut signaler que sa mémoire lui avait joué un mauvais tour. Si nous revenons en arrière, les embarquements de Gardel pour l’Europe se firent, dans l’ordre décroissant, les 7 novembre 1933, 28 octobre 1931 et 6 décembre 1930. Or la date du 28 octobre 1931 est postérieure à la visite de Leguisamo sur la Côte d’Azur. C’est sans aucun doute à la veille du voyage de Gardel du 6 décembre 1930 que Francisco Maschio se référait dans son interview, ce qui fixe la date de cette fête donnée à l’occasion du départ de Gardel au 5 décembre 1931Ce même jour, durant l’après midi, Gardel avait enregistré la valse "Rosa de Otoño" ainsi que les tangos "La Mariposa", "Senda Florida" et "Viejo Rincón", acompagné par le sexteto de Francisco Canaro, avec Luis Riccardi au piano, Federico Scorticatti et Ángel Ramos aux bandoneons, Cayetano Puglisi et Mauricio Mise aux violons et Olindo Sinibaldi à la contrebasse.

La même photo sans signatures en possession de Francisco Maschio


Après avoir déterminé le lieu et la date de cette photo, il restait à savoir dans quelles circonstances elle avait été signée conjointement par Gardel et Leguisamo. Tout semble indiquer que Gardel n’avait pas pu la voir du fait qu’elle a été prise quelques heures avant son départ pour l’Europe, et que c’est Leguisamo qui la lui a apportée à Nice.


Le jockey débarquà à Nice le 8 février 1931 ce qui veut dire que jusqu'à la date du 25 février, cette photo a du rester plusieurs jours en possession du chanteur. Cependant, il devait y avoir, en ce jour du 25 février 1931 un évènement spécial que les deux amis voulaient immortaliser, en l'occurence le départ de LeguisamoSans donner la date exacte, Leguisamo se rappelait : "... je dus partir pour Paris sans Carlos, prisonnier de ses nombreux engagements", mais au tout début du mois de mars, Leguisamo fut pris en photo à Auteuil en compagnie des frères Torterolo.

D'autre part, les photos de Gardel en compagnie de Leguisamo prises sur la Promenade des Anglais ne devaient pas être disponibles à cause des délais propres au développemement de la pellicule photographique et au tirage sur papier, et c'est pour cette raison, que cette photo où ils étaient mieux représentés et seuls, et qui perpétuait mieux le souvenir des deux amis fut choisie.

Enfin, curieusement, si le destinataire de cette photo portant un autographe avait été Leguisamo, Gardel lui aurait écrit une dédicace, comme il le fit avec des milliers d’admirateurs et avec ses proches comme Isabel del Valle, Razzano, Francisco Martino, Maschio … et jusqu’au "Pulpo"[4] lui même, qui conservait deux photos de Gardel dédicacées, parmi d’autres photographies, des plaquettes souvenirs et autres trophées de sa carrière turfiste.




 

Photo dédicacée de Gardel à Leguisamo portant la mention: "A mon cher ami Leguizamo (SIC), affectueusement, Carlos Gardel. New York"



L’analyse des faits exposés permet de conclure que Gardel, grand admirateur de Leguisamo, lui a demandé de signer cette photo en souvenir de son séjour à Nice. Devant ses excuses embarassées du style : « je ne sais pas quoi écrire » ou bien « j’ai une mauvaise écriture », El Morocho (surnom de Gardel) apposa sa signature, le lieu et la date de leur rencontre et conserva dans ses affaires ce précieux autographe.


 



 

Ana Turón

Azul (Bs. As., Argentine), février 2024

Traduction: Georges Galopa

 

Je remercie tout spécialement Madame Celina Maschio

 

Bibliografie consultée :

Livres

MORENA, Miguel Ángel. "Historia Artística de Carlos Gardel. Estudio Cronológico". Edición Definitiva. Corregidor (Bs. As.), 2008

ZATTI, Rodolfo Omar: “Gardel y el Turf”. Ed. Corregidor, 1990

Revues

"Caras y Caretas" 13 juillet 1935

"Antena TV". Numero special, 1966

"Tanguera. Edición extraordinaria. 30 láminas multicolor" (non datée)

"Radiolandia" (non datée -années 70)

Internet:

Gardel et Leguisamo sur la C ôte d'Azur

Archives personelles.

 

 

 



[1] ‘Viejo Francisco’ : Gardel nomme ainsi Francisco Maschio à la fin de l’enregistrement du disque ‘Leguisamo solo’

[2] Nom de l’écurie de chevaux de courses de Francisco Maschio

[3] Criolla : qui appartient à l’Argentine autenthique, profonde.

[4] Pulpo – La pieuvre, surnom de Leguisamo qui s’acrochait à sa monture comme s’il avait des tantacules.